On formait une famille parfaite. Enfin, je crois. Je suis la troisième enfant. La cadette. J’ai deux grands frères. Andrew, l’aîné, a sept ans de plus que moi. Damon, au milieu, en a deux de plus. Maman et papa formaient un couple parfait. On était une famille heureuse. Je m’entendais à merveille avec Damon, et ça, ça n’a pas changé au fil des années. Avec Andrew, c’était différent. Je l’adore aussi, hein ! C’est juste que… C’est différent. Il est plus âgé, il a plus le rôle du grand frère protecteur, et ça, il s’est toujours bien employé à le faire. Même dans les moments les plus difficiles. Je m’entendais bien avec papa et maman aussi. On ne peut pas dire que j’étais une petite fille parfaite, mais en général, ça passait bien.
A dire vrai, j’ai eu une enfance tout à fait normal. J’étais comme toutes les autres petites filles : je jouais aux poupées, je rêvais aux princesses, je hurlais parce que mes frères m’embêtaient, ou parce qu’ils ne me laissaient pas jouer avec eux. Mais j’étais heureuse. On était heureux. On était une famille parfaite. Et il y avait Erin aussi dans notre famille. C’est la petite amie de Damon. J’ai toujours trouvé qu’elle faisait une belle princesse. Elle a le même âge que lui, mais je l’ai toujours connue finalement. On s’entendait plutôt bien aussi à l’époque.
Finalement, mon enfance n’était rien d’autre que des jours qui défilaient. Il n’y a pas eu d’évènements marquants… J’étais bonne élève, j’avais des amis, une famille… Tout allait bien. Je trouvais que le couple que formaient Erin et mon frère était digne d’un conte de fées… Je vivais une vie d’enfant tout ce qu’il y a de plus banal. Mon adolescence avait commencé de la même façon. Jusqu’à ce que tout change à la maison.
A tête reposée, je me dis que j’aurais dû m’en rendre compte. Mais j’avais seize ans. J’avais d’autres chats à fouetter. Je devais m’occuper de moi. De mon corps qui changeait, et croyez-moi, quand on a seize ans, c’est une chose importante ! Il y avait mes premiers amours, mes études, la crise d’adolescence… J’avais seize ans. J’avais besoin d’une famille, et la mienne s’est brisée.
Ca a commencé avec des disputes. Elles étaient de plus en plus fréquentes. Andrew avait quitté la maison, il voyait moins de choses que Damon et moi. Je crois que dans tout ça, j’essayais plus de ne pas faire attention à ce qui arrivait qu’autre chose. Lorsqu’Erin n’était pas là, j’allais me réfugier dans la chambre de Damon. On voyait nos parents se déchirer à petit feu. Et tout ce qu’on pouvait faire finalement, c’était attendre que ça passe.
Et puis un jour, maman est partie. Sans un mot. Sans une explication. Je n’ai pas compris. On a compris après. Quand papa a daigné donner des explications.
«
Elle est où maman ? »
Une question simple. On n’avait jamais de réponses. Damon restait silencieux, détournait le regard. Il savait quelque chose. Quand Andrew était là, c’était pareil. Avec Erin aussi. A croire qu’ils étaient tous au courant. Sauf moi. Et puis j’en ai eu marre. Je les ai pris à parti, tous. Papa, Andrew, Damon.
«
Elle est où maman ? »
Pas de réponse, des regards qui se baissent, qui dévient. Ils m’évitent.
«
JE VEUX UNE REPONSE ! »
«
Vas-y papa. Explique-lui. »
Andrew. La colère dans sa voix était plus que présente. Visiblement, il avait caché trop longtemps son secret. Damon semblait visiblement de son avis. Papa chercha du soutien pendant un instant. Dans aucun de nos regards il ne le trouva. J’attendais une réponse qui ne venait toujours pas.
«
Votre mère et moi allons divorcer. »
«
QUOI ? »
«
Alors c’était sérieux cette histoire ? »
«
Qu’est-ce qui était sérieux ? Papa ? »
Encore un regard dans le vide. Toujours pas de réponse…
«
Papa… »
«
J’ai une aventure. Attends, laisse-moi finir. Tu voulais une réponse… »
Damon serrait les poings. Andrew attendait les explications complètes. Moi aussi. Je ne l’interrompis pas une seule fois. Il avait une aventure depuis plusieurs mois. Avec la mère d’Erin. Avec la mère de la petite amie de mon frère. Mais c’était sérieux. Maman avait fini par l’apprendre, et elle était partie. Il y a de quoi. C’était compréhensible. Lorsqu’il termina son histoire, tout se déclencha. Andrew exprima son mécontentement. Qu’il trompe maman était une chose, mais qu’il se retrouve avec deux complices en était une autre. Ce fut mon tour de hurler.
«
Tu n’avais pas le droit de faire ça à maman ! T’avais pas le droit de nous faire ça ! On est une famille, t’es pas tout seul ! »
«
Parce que mon bonheur ne compte pas ? »
«
Mais si t’étais pas heureux avec maman, t’avais qu’à te séparer d’elle au lieu de la tromper ! »
Touché. Le mal était fait. Je ne pouvais rien faire de plus de toute façon.
«
Avec la mère d’Erin en plus ! Et là, t’as pensé encore qu’à toi ? T’as pas pensé à Damon qui est en couple avec sa fille ? T’es qu’un sale égoïste. T’as pas pensé un seul instant à ta famille. »
«
Lia, calme-toi. »
«
Non, je ne me calmerai pas ! Il nous a trahis, il a trahi maman, et vous ! Vous étiez au courant ! Vous ne m’avez rien dit ! Vous aussi, vous avez brisé notre famille ! »
Je suis partie. J’ai pas pu rester. J’ai pas pu les regarder en face plus longtemps. Je les détestais. Je leur en voulais. A tous les trois. A mes deux frères parce qu’ils n’avaient pas été solidaires. Ils m’avaient caché un secret bien trop important. A papa parce qu’il avait brisé notre famille, fait du mal à maman… Et qu’il nous avait fait du mal. Je suis partie. J’ai fait un tour. Mes larmes coulaient sans cesse, mais j’avais besoin d’air. J’étais en train d’étouffer. J’avais mal et je n’arrivais plus à respirer. C’est Damon qui m’a retrouvée. Au fond du jardin, derrière la maison. On est restés assis l’un à côté de l’autre pendant des heures. J’avais ma tête posée sur son épaule, et je pleurais. Je laissais tout sortir.
«
Tu sais, si on ne t’a rien dit… C’était pour te protéger. On ne voulait pas que ça finisse comme ça… »
«
Ouais, je sais. »
«
Il veut s’installer avec elle à la maison. »
«
S’ils font ça, ils vont comprendre leur douleur. »
Elle s’est installée à la maison. Je n’ai pas apprécié. On ne nous a même pas laissés le temps de nous remettre de la séparation de notre famille qu’on nous en imposait déjà une nouvelle. Damon n’a jamais rien dit. Il ruminait sa colère, je le voyais bien. Mais c’était compréhensible. Son couple était en jeu : au moindre faux pas, il perdait Erin. Moi, je n’avais rien à perdre. On m’avait imposé tout ça, on ne m’avait pas demandé mon avis. J’allais montrer mon mécontentement.
A chaque fois qu’elle m’adressait la parole, je l’envoyais paitre. C’était pareil avec papa. Il me disait de me calmer, je lui disais de la virer. C’était logique. Je ne voulais pas d’elle. Je ne la voulais pas à la maison, je ne voulais pas qu’elle essaie de se prendre pour ma mère, je voulais ma mère. Je voulais qu’elle soit là, qu’on reforme la famille qu’on était. Mais il ne fallait pas s’attendre à ce que ça arrive. Du coup, je reportais ma colère sur mon père, sur sa compagne… Sur mon frère. Avec lui aussi, j’ai été odieuse. Finalement, je n’ai jamais digéré qu’il ait gardé le secret. Et c’était pareil avec Andrew quand il venait. Ca a duré un mois environ. Et puis il y eut ce jour. Il y avait déjà eu des menaces, mais je n’avais jamais pensé que papa le ferait tout de même… C’était un matin, juste avant que je ne parte pour le lycée.
«
Tiens Camelia, je t’ai préparé un déjeuner. »
«
Je mange en ville à midi. »
«
T’aurais pu me prévenir… »
«
Pourquoi donc ? T’es pas ma mère, j’ai pas de comptes à te rendre. »
«
Lia, elle essaie juste d’être gentille. »
«
Ah ouais ? J’en n’ai rien à foutre. C’est pas ma mère, elle le sera jamais. »
«
Lia, arrête. »
«
Non. C’est toi qui nous l’as imposée, à quel moment tu as entendu qu’on voulait d’elle à la maison, hein ? J’ai jamais dit que je voulais de la garce qui a détruit ma famille dans cette maison, t’attends pas à ce que moi, je sois gentille. »
«
Dehors. »
«
C’est ce que je comptais faire, j’ai cours. »
«
Non, Lia. Cette fois, c’est pour de bon. Ce soir, tu rentreras uniquement pour faire tes affaires. Je te réserve un billet d’avion, et tu vas rejoindre ta mère. »
J’ai trainé les pieds toute la journée. Je n’y croyais pas. Pour moi, papa n’était pas sérieux. Il ne pouvait pas me mettre à la porte, après tout j’étais sa fille. C’était sa faute si j’étais comme ça. Pourtant, en rentrant le soir, il y avait des cartons posés dans ma chambre, et une valise. C’était donc sérieux. Je devais partir. Très bien. J’ai emballé mes affaires. Quand papa est rentré, il m’a emmenée à l’aéroport. Le voyage a été silencieux. Visiblement, ça l’embêtait de me faire partir de la maison. Mais avait-il seulement le choix ? J’avais été odieuse. Il ne savait plus quoi faire de moi, alors il éludait le problème en le faisant disparaitre. C’était simple et efficace.
«
J’aurais préféré ne pas en arriver là. »
C’était sa façon de me dire au revoir ? Drôle de façon. Je ne m’étais pas attendue à ça. J’ai haussé les épaules et j’ai avancé, tirant ma valise derrière moi. Il m’a suivi jusqu’au dernier moment. En fait, je le suivais plus exactement. Lui savait où j’allais, pas moi. Je ne savais pas où était partie maman. Et puis ma destination m’apparut dans les mains. Salem. Youpi.
«
Ta chambre restera intacte si jamais tu veux venir en vacances. »
«
Tu peux faire ce que tu veux de ma chambre. Ne t’attends pas à mon retour, encore moins à avoir des nouvelles. Tu me jettes dehors, t’es plus mon père. Je suis plus ta fille. »
J’ai pris ma valise, et je suis partie. J’avais plus rien à voir avec lui. Il avait brisé ma famille, il brisait ma vie. J’étais heureuse aux côtés de Damon et Andrew. Il n’avait pas compris qu’ils étaient les seuls à pouvoir me contenir. Sauf que dans cette histoire, j’avais été la pire petite sœur qui soit avec eux. J’ai pris mon avion sans me retourner. Puisque sa volonté était de me voir partir, alors je partais. Je disparaissais. Ce n’était plus ma vie. Je n’avais plus rien à voir avec l’Alaska.
En arrivant à Salem, j’ai retrouvé maman. Mais elle avait déjà tellement changé. C’était un désastre. Elle était détruite. Bien plus que nous ne l’avions été, Andrew, Damon et moi. Même si les circonstances de mon arrivée dans sa vie étaient malheureuses, j’étais heureuse d’être là. Elle ne serait plus seule. On n’est pas restées longtemps à Salem. Ca n’a duré que jusqu’à la fin de l’année scolaire. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour aider au maximum maman. J’évacuais ma colère, j’apprenais à me calmer. Je n’ai jamais donné signe de vie à Damon, ni à Andrew. Encore moins à papa. J’ai reçu des lettres, des mails… Je n’ai jamais répondu. J’avais besoin de m’éloigner de tout ça, de me refaire une vie. Moi aussi, je devais repartir à zéro. J’ai travaillé après les cours pour aider maman à la maison. Et puis, maman a trouvé un travail à Las Vegas. Du coup, on a déménagé. C’était une opportunité en or pour elle. Las Vegas, la ville de la décadence. Mais certainement l’une où les salaires pouvaient aussi atteindre des millions si on réussissait à s’y faire une place.
J’ai fini le lycée là-bas. Je me suis lancée dans des études d’infirmières. A dire vrai, j’ai cherché une carrière qui ne demandait pas beaucoup d’années d’études, et qui pourrait me plaire. Infirmière rentrait dans mes critères. C’est à ce moment-là que j’ai changé. La petite fille sage que j’étais en Alaska a disparu. J’étais à Las Vegas, je me suis endurcie pour survivre. C’est la ville du crime, et une jeune fille seule pouvait risquer sa vie. Mais très vite, je me suis retrouvée très bien entourée. Maman travaillait dans un casino. Au début, elle était serveuse. Puis on lui a proposé de devenir hôtesse. Visiblement, elle avait encore des charmes dont elle savait se servir. C’était une belle promotion, et elle a réussi à s’en sortir grâce à ça. Comme elle bossait beaucoup, je suis tout autant sortie. J’enchainais soirées sur soirées… J’ai bu, pris de la drogue, enchainé les coups d’un soir. Je devenais une de ces gamines qu’on voit souvent dans les séries télévisées. J’ai commencé à porter des tenues plus aguichantes, je mettais mes formes en valeur… Je devenais une femme. Le truc, c’est que mes fréquentations n’étaient pas les meilleures. Je trainais avec des junkies et des musiciens. J’ai appris à jouer de la guitare à leurs côtés, ils m’ont fait chanter.
C’est là que Camelia a entièrement disparu. J’avais visiblement tout ce qu’ils cherchaient pour monter un groupe de rock avec eux. Je devenais guitariste et chanteuse d’un groupe. Mais ils trouvaient que Camelia était un prénom assez ridicule pour une future star de la chanson. On m’a cherché un prénom, et je suis devenue Luann. Cette vie me plaisait. On est rapidement devenu un petit groupe local connu. Grâce à ma mère, on a même pu faire des premières parties au casino, jouer au bar… C’était vraiment super. J’étais devenue une sorte de star du rock, et j’avais tout ce qui allait avec : la provocation, la voix, la musique, la drogue, l’alcool… Bien que j’ai rapidement arrêté la drogue. C’était pas mon truc, ça me rendait malade. Je me contentais de fumer. J’étais la décadence à proprement parler. J’ai vécu ainsi jusqu’à mes vingt-et-un ans, réussissant tout de même avec brio mes études d’infirmières.
C’est papa qui tenta de reprendre contact. Je n’ai pas répondu à son appel. Jamais. Maman me disait de lui répondre, que c’était peut-être important pour qu’il m’appelle après tant d’années sans aucunes nouvelles. Je n’ai pas répondu. Je ne voulais pas lui parler. Je n’avais plus rien à voir avec lui il ne méritait même plus le nom de père après tout ce qu’il avait fait à notre famille. Mais ses appels étaient incessants. Ce n’est pourtant pas lui qui a répondu quand j’ai fini par décrocher.
«
Lia ? »
«
Andrew ? »
«
Enfin tu réponds ! Je t’ai appelé des dizaines de fois, et tu ne répondais jamais. »
«
Désolée, je croyais que c’était papa. Et puis, t’avais qu’à appeler avec ton téléphone. »
«
Cassé. Je vois que tu lui en veux toujours, mais là n’est pas la question. Il s’agit de Damon. »
«
Qu’est-ce qui lui est arrivé ? »
J’avais compris tout de suite que quelque chose n’allait pas. Sa voix avait changé. Et il avait toujours su que Damon était en quelques sorte mon frère préféré. On avait toujours été très proches, et il le savait.
«
Il y a eu un incident. J’aime pas parler de ça au téléphone, alors je vais faire court. Un braquage a mal tourné. Il était à l’intérieur de la banque, et le cambrioleur savait qu’il était flic. Il lui a tiré dessus. Il est à l’hôpital. »
«
Non… »
«
T’inquiète pas, il est en vie. Ses jours ne sont plus en danger, mais je me suis dit que tu voudrais être mise au courant. »
«
Je… Merci. »
«
Je dois te laisser, on va aller le voir… Tu sais, si tu veux venir le voir, tu peux venir à la maison. Je peux te loger quelques jours. »
«
Je vois avec maman et je te rappelle. »
Les négociations pour un billet d’avion n’ont pas été difficiles. Elle se souvenait très bien que Damon était important à mes yeux. Ca aurait été Andrew, j’aurais aussi fait le déplacement. J’ai fait une valise rapidement. J’ai pris le strict nécessaire. Maman m’a donnée assez d’argent pour un billet d’avion, et même pour plus. J’ai rappelé Andrew dès que j’ai su l’heure de mon arrivée. C’est lui qui est venu me chercher à l’aéroport. J’avais tant redouté le jour où je remettrais les pieds en Alaska. Je n’avais jamais pensé que ce serait pour aller voir mon frère à l’hôpital.
Il était dans un sale état. Les premiers jours, on est simplement resté assis à côté de son lit. Il y avait des fils partout, il était relié à des tas de machines. J’en avais les larmes aux yeux. Je n’avais pas donné signe de vie pendant cinq ans. Il avait fallu attendre qu’un drame arrive pour que je daigne revenir. Pour que je daigne leur pardonner complètement. Enfin, pardonner mes frères. Elle était toujours là. Assise à côté de papa. Elle avait une place qui ne lui appartenait pas… Par contre, Erin n’était pas là. Je ne crois pas l’avoir vue une seule fois à l’hôpital.
Damon s’est réveillé quelques jours après mon arrivée. J’étais seule avec lui. Papa travaillait, Andrew aussi. Erin n’était toujours pas là. Il était dans le coaltar. Il ne m’a pas reconnue. En même temps, comment pouvait-il ? Il était complètement drogué avec tous ces médicaments. Et j’avais changé en cinq ans. Lui aussi.
«
Erin… »
Forcément. Il avait envie de trouver sa petite amie à ses côtés. C’était normal. J’ai souri. Je me suis approchée, assise plus près de lui.
«
C’est moi, c'est Lia. Erin n’est pas là. »
«
Erin. »
Ca ne servait à rien. Pourtant, j’ai laissé Camelia ressortir. C’était d’elle dont il avait besoin. Alors je suis restée assise là, toute l’après-midi, à lui parler. Je racontais tout et n’importe quoi. Mais je crpos qu’au final, j’en avais autant besoin que lui. Je suis revenue chaque jour. Tout le monde a fini par m’appeler Luann, même si parfois, il y avait encore des Lia qui se perdaient. Et puis, je suis allée voir Erin à l’appartement. Je voulais lui dire qu’il s’était réveillé. Je voulais savoir pourquoi elle n’était pas là.
«
Il s’est réveillé. »
«
Il va bien ? »
«
Oui. Tu sais, Erin, il te demande sans cesse. »
Elle se renferma sur elle-même.
«
Qu’est-ce qu’il y a ? »
«
Je n’y arrive pas. J’arrive pas à aller le voir à l’hôpital. J’ai… Eu tellement peur de le voir avec tous ces tuyaux, ces fils… »
«
T’as pas à affronter ça toute seule. On est là. Il a besoin de toi. Viens avec nous le voir. »
«
J’y arriverai pas… »
«
Si tu changes d’avis, on est là. »
Elle n’est jamais venue.
Quand Damon sortit de l’hôpital, on passa tous une journée ensemble à la maison. Erin, Andrew, Damon, papa, sa compagne, et moi. C’était en quelque sorte pour fêter son rétablissement. Mais aussi pour se dire au revoir. Il était temps pour moi de repartir.
Erin semblait un peu plus heureuse depuis que Damon était sorti de l’hôpital. Pourtant, j’avais l’impression qu’il y avait une blessure ancrée en chacun d’eux. Papa était heureux avec l’autre. Et je ne pouvais décemment pas rester plus longtemps chez Andrew. Il avait une vie lui aussi. Damon allait mieux et c’était le plus important. Je n’aimais pourtant pas l’idée de repartir maintenant. Pour moi, il avait encore besoin de sa famille. Et j’en faisais partie. Je crois que papa a senti mon dilemme. Je n’avais pas encore acheté de billet de retour. Le soir-là, il attendit de trouver un instant où on était seuls.
«
Ta chambre existe toujours. »
«
Je t’avais dit d’en faire ce que tu voulais. »
«
Oui. Mais c’est ta chambre. Et si tu veux la reprendre, tu en as tout à fait le droit. »
«
Maman m’attend à la maison. »
«
Ce serait bien que tu reviennes vivre ici. »
Je me retournai. Je ne m’attendais pas à l’entendre elle. La compagne de papa.
«
T’as rien à me dire, je suis pas revenue pour toi. Ni pour papa. »
«
Je sais bien. Mais justement, si tu es revenu pour Damon, reste aussi longtemps qu’il a besoin de toi. C’est toujours ta maison. »
La proposition était tentante. Mais étais-je capable de revivre avec mon père et sa compagne après cinq ans d’absence ? Avec encore toute la colère que je leur portais ? Je ne savais pas. Mais ils avaient raison, il me fallait l’admettre. Damon risquait d’avoir encore besoin de moi. Ou peut-être était-ce moi qui avais besoin de lui ? Quoiqu’il en soit, j’ai décidé de rester. Enfin, ‘belle-maman’ n’avait qu’à bien se tenir quand même, je ne l’aimais toujours pas. Et j’en voulais toujours à papa. Mais la maison était toujours un bon pied à terre en attendant de trouver mieux. Déjà, il fallait se dégoter un travail à l’hôpital. Un coup de téléphone, et maman me fit envoyer mes affaires par avion jusqu’à la maison. J’étais de retour.