Bonjour tout le monde, moi c’est Wade Steevens mais je n’ai pas toujours été appelé comme ça. Avant, j’étais Aristide Saint-Clair… ce n’est pas le top, on est d’accord. Mais bon, je n’ai pas trop eu le choix. Je ne sais pas vraiment où je suis né, ni quel jour. Mes parents sont inexistants ou en tout cas, je ne les connais pas. Ils m’ont abandonné lorsque je n’étais encore qu’un nourrisson. Un couple de personnes âgées m’a trouvé sur le bord de la route à l’entrée de Maanosa, ville où j’ai grandi, le 21 mars 1991, soit le jour du début de ma vie. Je suis sûr que vous voulez savoir comment ça se fait qu’aujourd’hui tout le monde m’appelle Wade ! Alors écoutez bien, je vais vous raconter…

Il fait chaud aujourd’hui et le soleil m’éblouit. Je n’ai pas envie de rester enfermer dans ma chambre comme me l’a dit mademoiselle Elisabeth. Je suis peut-être malade mais moi aussi je veux aller jouer dans le jardin. Je passe ma tête dans le couloir, la voie est libre. Vite. Je cours en longeant les murs, il faut que personne ne me voie. « Aristide Saint-Clair ! Puis-je savoir ce que faites en dehors de votre chambre ? » Zut ! J’y étais presque. Je me retourne en regardant mes pieds, tête baissée. Mademoiselle Elisabeth s’empare de ma main et me traine derrière elle. Elle me raccompagne dans ma chambre, s’assoit sur mon lit et m’invite à faire comme elle. « Pardon d’avoir désobéi… » Je balance mes pieds d’avant en arrière tout en grattant l’un des nombreux boutons sur mon bras. Je reçois une vive tape sur la main, c’est vrai… je n’ai pas le droit de me gratter. « Je peux vous poser une question mademoiselle ? » Je lève les yeux vers la vieille femme et elle me sourit. Elle acquiesce d’un signe de tête et je dégluti. « Ils sont où mes parents ? » Elle soupire, ce n’est pas la première fois que je lui pose la question mais jamais elle ne me répond. Sauf que cette fois-ci, c’est différent. « C’est mon anniversaire et vous m’avez dit que je pourrai vous demandez tout ce que je voudrai. S’il vous plait ! » Mademoiselle Elisabeth se lève et marche jusqu’à la fenêtre, je la regarde sans comprendre ce qu’elle fait exactement. Tout d’un coup, elle pivote et se retrouve face à moi. « Vos parents vous ont laissé aux portes de la ville à votre naissance… Nous pensons qu’ils n’avaient pas les moyens de vous offrir une éducation et qu’ils ont préféré vous laissez entre de meilleures mains. » J’essaye de saisir toutes les informations que je viens de recevoir, mais je ne comprends pas. Pourquoi est-ce qu’on m’aurait laissé ? Beaucoup de gens pauvres ont des bébés et pourtant, ils les gardent avec eux. J’ai peut-être fait quelque chose de mal ? Je ne me souviens pas. « Mais si ils m’ont abandonné, comment ça se fait que j’ai un prénom ? Ils ont laissé une lettre ? » La bonne femme me sourit, elle semble un peu amusée. Je sais qu’elle m’aime bien, souvent le soir, elle vient me lire une histoire. Même qu’Owen vient aussi pour entendre ses contes. Mademoiselle Elisabeth s’avance vers moi et pose sa main sur mes cheveux bouclés. « Non, il n’y avait aucun mot. Vous avez été nommé par le couple qui vous a découvert cette nuit-là. » Je pose un doigt sur mon menton comme quand j’ai une idée. « Mais pourquoi Aristide ? Ce n’est pas beau comme prénom ! » Elle se met à rire tout en jouant avec mes cheveux. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde aime faire ça… « Et comment aimeriez-vous vous appeler ? » Mes yeux se sont illuminés, elle m’offrait l’opportunité de choisir mon prénom, de devenir absolument n’importe qui. « Je voudrais m’appeler Peter comme Peter Pan ! Je ne vieillirais jamais, je saurais voler, je pourrais me battre contre le capitaine Crochet ! Ça serait cool ! » Je suis joyeux, j’en oublie même que les autres sont en train de jouer dehors sans moi. « Vraiment ? Peter ? » Je soupire, je rigolais et elle le sait. Je réfléchis. Si je devais me trouver un prénom pour toujours… Mmh… Wade ! Oui, j’aime beaucoup. C’est court, facile à retenir, rapide à noter sur mes cahiers et puis ça va avec tout ! Wade à l’ananas. Wade au nutella. Wade va à la piscine. Owi, j’ai très envie d’aller à la piscine, ça fait longtemps qu’on y a pas été. Perdu dans mes pensées, je n’ai même pas vu la vieille dame s’esquisser. Je me précipite dans le couloir et hurle : « MADEMOISELLE ELISABETH ! » Elle se retourne et je cours jusqu’à elle. « Je voudrais m’appeler Wade ! » Elle me sourit, m’embrasse sur le front avant d’afficher une mine sévère. « Retournez dans votre chambre monsieur Wade Saint-Clair. » Un immense sourire apparait sur mes lèvres et je retourne en sautillant dans ma chambre. Ca y est, je suis enfin quelqu’un. Je suis Wade !

Eh eh ! Vous vous demandez qui est ce garçon sur la photo, n’est-ce pas ? Lui, c’est Owen, ma famille, mon frère, mon meilleur ami, mon contraire, mon ami d’enfance… Ce gars-là, c’est la personne qui compte le plus à mes yeux. On a toujours été proches, comme moi, il n’a pas connu ses parents et en l’absence d’une vraie famille, on a choisi la nôtre. On a toujours tout fait pour rester ensemble et ne pas être séparés. Des familles d’accueil, on en a connu une bonne dizaine mais aucune n’a réussi à comprendre ou à égaler le lien que nous unis. Owen a toujours eu la fâcheuse manie de se retrouver dans la merde, faut le dire. Malgré tout, lorsqu’il était exclu d’une famille, je faisais tout mon possible pour le suivre. L’assistante sociale a finalement compris qu’elle n’arriverait pas à nous séparer et a donc commencé par chercher des maisons avec deux places pour deux garçons du même âge.

Un jour, je me souviens qu’Owen m’a demandé pourquoi nous ne pourrions pas avoir le même nom. Il insistait sur le fait que l’on soit frères, que l’on soit une famille. Il savait à quel point je détestais être un orphelin sans personne, sans réel lien et il a décidé qu’il allait partager son nom avec moi. Nous étions jeunes mais Mademoiselle Elizabeth nous a soutenus dans notre démarche et en quelques mois, je suis devenu Wade Steevens. C’était très important pour moi car j’avais vraiment l’impression d’exister, d’être quelqu’un.

A l’école, j’avais d’assez bonnes notes et j’étais assez apprécié, je dirai même populaire mais toutes les bonnes choses ne durent pas. J’ai découvert ma bisexualité lors de ma première année au collège et même si je n’ai jamais rien dit, il faut croire que ce n’est pas passé inaperçu. Les autres élèves me traitaient de pédale, ils pensaient tous que j’étais gay et se moquaient de moi. A ce moment-là, je ne pouvais me résoudre à admettre ce que j’étais alors je disais que c’était faux. Et au bout d’un moment, ils m’ont fait avoir honte de moi-même. Owen, qui savait tout, ne l’a pas supporté, il m’a défendu, il a traité tout le monde d’idiots et a fait ce que j’étais incapable de faire : dire la vérité. Je ne lui en ai jamais voulu car je savais que c’était la bonne chose à faire. Au bout de quelques semaines, les autres se sont lassés de se moquer de moi et m’ont plus ou moins oublié. Mes soit disant amis sont venu s’excuser de s’être mal comportés vis-à-vis de moi et tout est rentré dans l’ordre. Depuis cette époque, je m’assume entièrement. Je sais qui je suis et c’est tout ce qui importe.

Environs un an après cet évènement, l’assistante sociale nous a appris qu’il n’y avait plus de famille pour nous accueillir tous les deux ensemble et c’est à ce moment-là que Novalee est arrivée. Elle nous a rencontré à la mairie alors qu’avec Owen, nous attendions de découvrir combien de kilomètres allaient nous séparer. Elle a discuté avec nous et en est venue à la conclusion que rien ne devait pouvoir se mettre entre nous. Elle a décidé de nous prendre avec elle, elle disait que sa maison était assez grande pour accueillir deux personnes de plus. L’assistante sociale était perplexe mais elle a accepté ce nouvel arrangement. Grâce aux Winsley, nous avons pu rester ensemble et à nos yeux, c’était tout ce qui comptait.

Je me suis longtemps demandé ce que j’allai faire de ma vie, je voulais aider les autres, me sentir utile. J’ai longtemps pensé à devenir médecin mais j’ai réalisé que devenir infirmier était la bonne voie. Je pourrai alors venir en aide aux gens, et le rendre utile auprès des médecins. C’était juste parfait. Depuis mes quinze ans, je passe le plus clair de mon temps à l’hôpital. Je n’ai jamais vraiment été malade mais j’aime aller faire le clown pour les enfants malades, leur montrer qu’il est possible de sourire et de rire lorsqu’on est malade. Par la suite, je suis devenu bénévole et trois fois par semaine, je faisais ce que je savais faire de mieux : l’imbécile. Un parent a voulu me récompenser pour avoir amusé son fils, il m’a tendu un billet mais je lui ai dit que je n’en voulais pas. Il m’a alors demandé pourquoi est-ce que je faisais tout ça si c’était pour ne rien gagner en échange et je lui ai répondu que de voir sourire ces enfants était la plus belle récompense que je pouvais avoir.

A nos dix-huit ans, Owen et moi avons loué notre premier appartement. J’ai entrepris mes études en médecine et je suis récemment devenu infirmier. Ma vie est parfaite, je suis heureux comme je suis et je n’en changerai pour rien au monde. J’ai tout de même pris la décision qu’un jour, je partirais à la recherche de mes parents biologiques pour leur montrer ce qu’ils ont perdu en m’abandonnant. Mais, ça ne sera pas pour demain, je n’ai pas besoin de me compliquer la vie pour le moment. Je suis jeune et j’ai encore beaucoup d’années devant moi !